Par Ndubuisi Christian Ani, PhD
D’ici le 12 mai 2019, le Soudan du Sud devrait se doter d’un nouveau gouvernement de transition, conformément au nouvel accord de paix conclu le 12 septembre 2018. Mais les retards enregistrés dans la finalisation des dispositions préalables ont mis en évidence la fragilité du nouvel accord et les faibles mesures internationales visant à garantir son respect par les parties belligérantes qui ont rompu les accords précédents.
À ce jour, les factions rivales doivent encore surmonter les tensions ethniques et partisanes pour mettre sur pied la force unifiée chargée d’assurer la sécurité des rivaux politiques qui entreront en fonction d’ici mai 2019 à Juba et dans d’autres localités. Comme la situation en 2016, la violence pourrait éclater si les responsables ont recours aux membres de leur parti chargés d’assurer la sécurité.
Même si la violence a diminué, les allégations de violations du cessez-le-feu et de violations constantes des droits de l’homme suscitent des inquiétudes quant à l’engagement des parties belligérantes. En outre, d’importantes institutions telles que la Commission indépendante des frontières (IBC) n’ont pas déterminé le nombre et les frontières des États comme l’exige le nouvel accord.
Lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) du 8 mars 2019, David Shearer, l’envoyé des Nations unies au Soudan du Sud, a notamment souligné l’absence de plans alternatifs outre l’accord actuel. Il a exhorté la communauté internationale à ne pas laisser l’accord de paix échouer car « une paix fragile entraînera des frustrations, de la colère et un possible regain de violence, qui pourrait ressembler à la situation observée en 2013 et 2016 ».
La communauté internationale, notamment l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), l’Union africaine (UA) et l’ONU, doit se mettre d’accord sur des mécanismes de responsabilisation et parler d’une seule voix pour faire comprendre aux parties belligérantes les répercussions en cas d’échec dans l’application de l’accord.
L’un des effets positifs du nouvel accord sur la résolution du conflit au Sud-Soudan (R-ARCSS) est la relative baisse de la violence. David Shearer a affirmé que « les membres des différents partis politiques de l’opposition se déplacent librement à Juba, sans problème, et prennent part aux différentes réunions dans le cadre du processus de paix ».
En octobre 2018, Dr Riek Machar s’est rendu à Juba pour participer à un événement en faveur de la paix. C’était sa première visite au Soudan du Sud depuis juillet 2016, lorsque les combats ont repris entre ses forces et celles du président Salva Kiir, bloquant ainsi l’accord de paix de 2015.
Malgré le calme relatif, des affrontements ont été signalés, ce qui a poussé Ismail Wais, l’envoyé spécial de l’IGAD au Sud-Soudan, à appeler au respect de l’accord de cessez-le-feu. Les affrontements ont été particulièrement intenses à Yei, dans l’Equatoria central, entre les forces gouvernementales et celles du Front de salut national (NAS), dirigé par le général Thomas Cirilo Swaka.
Le général Cirilo avait refusé de signer l’accord de septembre 2018. Les autres organisations non-signataires, telles que l’Alliance démocratique nationale du Soudan du Sud (SSNDA) et le Front uni du Soudan du Sud (SSUF) de Paul Malong, ont fait de même. Le général Cirilo a fait valoir que le nouvel accord consiste tout simplement à partager le pouvoir entre Kiir et Machar et qu’il ne délègue aucun pouvoir à d’autres acteurs. Il insiste sur le fait que son groupe, le NAS, poursuivra la lutte armée jusqu’à ce qu’un nouvel accord soit négocié. En effet, la principale menace pour l’accord de paix au Soudan du Sud est l’incertitude qui plane sur la manière de limiter efficacement le nombre et les intérêts des groupes armés issus des camps de Kiir et de Machar et qui cherchent à obtenir une plus grande représentation depuis que la violence a éclaté en 2013.
Les combats qui se déroulent actuellement à Yei et les incessants mouvements de troupes en dehors des zones de cantonnement pourraient déboucher sur des affrontements de grande ampleur dans tout le pays. Le 28 février, les évêques catholiques du Soudan du Sud ont publié un message dans lequel ils tirent la sonnette d’alarme sur la lenteur de la mise en œuvre de l’accord de paix et sur le fait que « toutes les parties sont en train de combattre activement ou de préparer la guerre ».
Selon des informations, les parties belligérantes recrutent et forment de nouveaux combattants, ce qui constitue une violation de l’accord. En décembre 2018, quatre agents du Mécanisme de surveillance du cessez-le-feu et de suivi de l’application des dispositions transitoires de sécurité au Soudan du Sud (CTSAMM) qui enquêtaient sur ces allégations, ont été détenus et torturés par les forces gouvernementales dans une base de l’armée à Luri, près de Juba.
Les inquiétudes relatives à la viabilité du nouvel accord font partie des principales raisons pour lesquelles les partenaires internationaux tels que la Troïka hésitent à financer le nouvel accord de paix dans la mesure où ils ont soutenu l’accord de 2015 qui a échoué. Le 20 février 2019, la Troïka qui est composée des États-Unis, de la Norvège et du Royaume-Uni a publié une déclaration conjointe avertissant que le « regain de violence risque de compromettre l’accord de paix et sape la confiance de la Troïka et des autres partenaires internationaux quant au sérieux et à l’engagement des parties en faveur de la paix ».
L’habitude du gouvernement de faire des dépenses excessives sur des questions peu prioritaires est également une source d’inquiétude pour de nombreux donateurs. En effet, plus de 135 000 dollars des fonds prévus pour la mise en œuvre de l’accord de paix ont récemment été dépensés pour rénover les maisons du vice-président Taban Deng et de la veuve de feu Dr John Garang, Rebecca Nyandeng De Mabior, qui feront partie des cinq vice-présidents du pays.
Sur les 285 millions de dollars de budget qu’il a récemment estimé pour mettre en œuvre l’accord, le gouvernement n’a promis que 1,6 million de dollars. Toujours en juillet 2018, le gouvernement a octroyé une somme de 16 millions de dollars à 400 membres du parlement sous forme de prêts automobiles, alors que les fonctionnaires sont restés pendant plusieurs mois sans recevoir leurs salaires. Ces dépenses futiles suscitent des inquiétudes quant à la volonté des autorités de mettre en œuvre les principaux volets de l’accord.
Ce qui est encore plus préoccupant pour le processus de paix, c’est le retard considérable accumulé pour mettre en place certains dispositifs pertinents précédant la transition. La Commission indépendante des frontières (IBC), qui a un rôle crucial à jouer pour délimiter le nombre et les frontières des États, doit encore achever le processus. Ce retard a pour effet de bloquer la désignation des membres du Conseil des États. Cette mesure est nécessaire pour apaiser les tensions créées par la création unilatérale de 32 États par le président Salva Kiir, au mépris des 10 États existants et de la formule de partage du pouvoir établie par l’accord d’août 2015. Conformément aux dispositions de l’accord, les travaux de la CIB auraient dû être finalisés le 12 décembre 2018.
De plus, on ignore si la CIB deviendra automatiquement la Commission chargée du référendum sur le nombre et les limites des États (RCNBS). Celle-ci doit permettre la tenue d’un référendum pour délimiter le nombre et les frontières des États.
En outre, le fait que le processus d’unification des forces au Soudan du Sud n’ait pas été mené à bien suscite des inquiétudes quant à la manière dont la sécurité des partis d’opposition sera garantie s’ils prennent leurs fonctions à Juba en mai 2019.
En l’état actuel des choses, il existe de profondes divergences entre les membres de l’IGAD, de l’UA et de l’ONU concernant les mesures à prendre à l’égard du Soudan du Sud pour faire respecter les accords. Que le gouvernement de transition soit formé en mai 2019 ou que sa mise en place soit reportée à une date ultérieure pour finaliser les dispositions préalables, la communauté internationale doit décider à l’unanimité des conséquences d’un regain de violence.
Concrètement, l’IGAD doit privilégier les négociations concernant l’unification des forces armées, notamment la possibilité de la présence d’une force de protection tierce à Juba. Il s’agit notamment de trouver une solution pour prendre en compte les intérêts des parties qui n’ont pas signé le nouvel accord.